Le Seigneur de Charny (Laurent Decaux)

 


Laurent Decaux. Le seigneur de Charny. XO editions.2017 413 pages. (BANQ D2919s)

Champagne 1382. Quand, après six années de croisade, Jacques de Charny regagne enfin ses terres, il découvre que des pèlerins affluent pour prier devant la relique extraordinaire détenue par la famille : le saint suaire sur lequel apparait le corps martyrisé du Christ.  Il va y avoir vol de la relique, arrivée du jeune roi Charles VI, écrasement d'une rébellion en Flandres… vécus dans le cadre de difficiles relations entre la mère  veuve, d’un père « glorieux » et le fils auquel elle reproche d'avoir abandonné le domaine familial pour aller en croisade.

Mais il s'agit surtout de l'amitié complice entre trois jeunes seigneurs dont les domaines sont voisins.  Il y a un peu des Trois mousquetaires là-dedans. L'endroit où s’installait, dans une auberge, l'un des amis, Miles de la Roche, n'aurait pas été dédaigné par Porthos.

L'emplacement était stratégique : à deux pas de la porte, afin de ménager son effort quand il fallait régler son compte à quelque boit-sans-soif voulant en découdre avec lui; à  trois pas du comptoir, de manière a se faire entendre du tenancier; et à six pas de l'escalier, afin de rejoindre, en d'impétueuse nécessité, l'une des six prostituées de l’établissement.

Car ces personnages qui ont l'épée fort nerveuse ne sont pas privés de sensibilité .

Quand des larmes coulaient, il passait sa langue sur ses lèvres, en essayant d'attraper les gouttes d'eau; c'était une sensation délicieuse et salée, qu'il répétait depuis l'enfance.
....
…l'amour d'une pucelle ou la cambrure d'une chute de reins m'émeuvent davantage que les mystères de la rédemption.

La narration des évènements qui marquent la trame de base de ce roman permet de s'arreter sur des questions qui ont compose la tapisserie sociale de cette époque.

L'auteur signale, en passages rapides, la fragilité de la vie soumise aux aléas des gué-guerres que se livraient les grands rois et petits seigneurs.  Souvent embrigadés de force ou tout aussi souvent victimes de la soldatesque incontrôlée, les gens du peuple ne pouvaient espérer jouir de leurs travaux bien longtemps.

Les  Anglais se saoulèrent, violèrent a tour de rôle les trois villageoises  qui servaient en cuisine et n'avaient pas eu le temps de s'enfuir, et pillèrent tout ce qu'ils purent. Comme le sacristain les suppliait d'épargner les objets liturgiques, ils lui mirent une corde autour du cou , et le pendirent. Puis ils campèrent dans le réfectoire pendant trois jours; enfin, repus et satisfaits, ils s'en allèrent.

Il fallait se réfugier dans la foi d'une religion … qui n'était pourtant pas toujours acceptée.

Il est pourtant des questions que le commun se pose et qu’il est fâcheux d'ignorer. Pourquoi l'Esprit s'incarne-t-il dans l'hostie plutôt que dans la roue d'une charrue ou la queue d'un chat? Qui a la meilleure chance d'accéder aux cieux : le père qui manque la messe pour veiller son fils ou le sacristain qui monnaye son indulgence contre les baisers d'une mignonne . Pourquoi l'Évangile est-il dit en latin et proscrit en langue vulgaire. Tôt-----ou tard l'Église devra dépasser ces contradictions, qui inquiètent le populaire et le font jeter dans l'incroyance ou la superstition.

L'auteur a bien fait ses devoirs. Il nous donne, en quelques pages annexées, des petits blocs d'information sur les principaux personnages et évènements faisant partie de son roman. Il départage rapidement les éléments inventés de ceux qui reprennent les faits historiques.

Le lecteur pouvait déjà se faire une idée de la qualité de cette approche en lisant, par exemple, la description d'un tournoi précisant des règles que les dramaturges se gardent habituellement de signaler.

Ce n’était pas une mince affaire, car toutes sortes d'édits frappaient les tournois. Les armes, notamment, se devaient d'être courtoises. Les tranchants n’étaient pas effilés; les lances étaient terminées par des pointes émoussées; les dagues, les haches et les masses d'armes, qu'on avait suspendues au flanc des palefrois, dans l’hypothèse où le combat de lances resterait indécis, étaient dépourvues de poinçons, d’alènes et de crochets.

En résumé, une description d'une époque vue par d'en haut de la pyramide sociale.  Une belle histoire d'amitié. Mais rien de vraiment original. .. si ce n'est cette insertion du « célèbre  » Saint Suaire supposé porter la marque du cadavre avant qu'il ne ressuscite. Le schisme des deux papes (Avignon et Rome) et l'arrivée au pouvoir de Charles VI servent de fonds de scène sans grand éclairage.

Style agréable.  Voyons ce qui va suivre.




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