La Reine de Jérusalem (Patrick Banon)
Patrick Banon, La Reine de Jérusalem: Bethsabée, fatale et rebelle. Vents d’Histoire. 2019 . 250 pages (BANQ B2195r)
L’editeur annonce l’auteur comme "un nom incontournable de l’étude des systèmese religieux et des biographies des personnages bibliques." On peut donc supposer que cet "expert" sait de quoi il parle.
Ma formation biblique de jeune chrétien m’a appris des noms de héros comme Saül, David, Absalom, Salomon. Il y avait des gestes (dans le sens médiéval du terme) spectaculaires comme la victoire du jeune David sur le "méchant<" Philistin et la gloire de Salomon incarnée dans un temple dont on parle encore aujourd’hui. Mais ce n’était que quelques rond-points historiques sur une carte dont les routes étaient beaucoup plus complexes.
L’auteur nous raconte les méandres de lignée de David dont est supposé être descendant le légendaire Jésus. (Je parle évidemment de la version légendaire de la vie de ce personnage avec lequel j’ai toujours des rapports très ambigus !) La complexité des relations entre les membres de cette famille David, Absalom, Salomon échappe complètement à ceux qui n’ont pas étudié dans une synagogue. (D’ailleurs combien d’anciens élèves des écoles chrétiennes savent qu’il y avait plusieurs royaume juifs qui se combattaient joyeusement… comme d’ailleurs les royaumes francs découlant des diverses croisades).
Banon imagine une conversation entre Bethsabée, la femme dont David a fait tuer le mari pour l’ajouter à sa centaine de maîtresses, et la dernière jeune femme qu’il a épousée avant de mourir (Nous sommes dans un autre ordre social…)
Approche Abishag. Ne sois pas effrayée, la vieillesse n’est pas contagieuse, tu le sais bien.
Cette Bethsabée est la petite fille d’un homme qui après avoir supporté la rebellion échouée d’Absalom, fils de David, contre son père, s’est suicidé . Elle raconte comment elle l’a vengé en imposant son fils Salomon comme successeur de David. Même si l’Eglise romaine a tenté d’Occidentaliser les personnages de l’ancien testament, ils demeurent des acteurs d’une scène orientale.
L’introduction de l’auteur pourrait nous faire croire à un ouvrage dont le didactisme serait un peu rébarbatif, et dont le féminisme envahirait un peu trop la logique narrative.
Bethsabée incarne ce féminin magique qui effraie tant les hommes. Fille, elle tisse des liens invisibles entre les êtres. Amante, elle traverse les enclos ou se réfugient les hommes et transforme les frontières en lieux de rencontre, Mère avant tout, Bethsabée est une passeuse de seuils. Elle évolue dans un espace en suspension, a la temporalité propre, ou passé et a venir se chevauchent. Par sa capacité a redéfinir une altérité fondamentale, elle donne un sens à l’existence des hommes.
Mais ces craintes ne sont pas validées à la lecture du texte. Certes l’auteur précise le rôle de cette femme dans l’évolution du royaume de David. Mais il ne prétend pas qu’elle soit ni une Hatchepsout ni une Cléopâtre …bien qu’elle se fasse soigner par un prêtre-médecin égyptien au service d’une fille de pharaon qui est devenue l’une des centaines d’épouses de Salomon. (Pourquoi nous parle-t-on toujours de son temple, mais jamais de son harem ?).
….mais les doigts de l’Égyptien ne s’embarrassent d’aucune pudeur. Intime des corps inertes, il a depuis longtemps séparé les êtres humains en deux groupes, les momies et les futures momies, ne laissant a ceux qui vivent encore que l’espoir d’être bientôt plongées dans un bain de natron comme ils l’ont été à leur naissance dans l’eau lustrale des purifications...depuis des années son peuple explore les chemins de la vie éternelle alors que les hébreux n’étaient encore, il n’y a pas si longtemps que des brigands des poussiéreux suivant les pistes des caravanes. Tellement pauvres qu’ils ne pouvaient servir qu’un seul dieu sans même un temple ou résider !
Comme la reine est en fin de vie…
son dos si fier, si droit, avait soudain évidé son ventre et voûté ses épaules, érodant ses seins jusqu’å en faire les dérisoires vestiges de sa beauté passée.
...la conversation se déroule lentement avec plusieurs retours, ce qui nous permet de mieux comprendre les luttes intrafamiliales et d’aller consulter les repères biographiques que l’auteur a pris soin d’inclure en annexe.
Des confidences en forme de dernières volontés destinées peut-être à lasser l'ange de la mort et le pousser à s'intéresser à une proie plus comestible.
Trois chapitres hors de cette conversation sont particulièrement intéressants : la narration d’une lapidation de jeunes femmes accusées de ne pas avoir résisté à un viol (on croirait lire une nouvelle nous provenant, des milliers d’années plus tard, de certains coins du monde), la description des sentiments ambigus des sujets d’Israël obligés de s’entretuer, sur un champ de bataille, pour défendre le droit à la couronne de David ou de son fils Absalom, lequel aurait acquis ce droit en couchant avec les femmes de son père… et les mêmes sentiments ambigus devant l’obligation d’un service royal pour la construction du fameux¸temple alors qu’on leur avait promis, à la sortie d’Égypte, qu’il n’y aurait plus d’obligation de ce genre.
Un roman consacré aux complexités d'une vie familiale exacerbée par les possibilités qu'offre un contexte de pouvoir absolu, sans, pour autant, nous exposer le contexte historique de ce pouvoir. Comme le plaisir de manger une goûteuse pointe de tarte sans se préoccuper de l'origine ou de la cuisson des aliments qui la composent.
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