Imperium + Conclave (Robert Harris)





Robert Harris,  Imperium, Plon, 2006, 364 p.
Robert Harris, Conclave, Plon, 2016, 304 p.

Le hasard a voulu que je tombe, au premier  présentoir de la Grande Bibliothèque, sur l’un des plus récents romans de Robert Harris dont je venais à peine de terminer la lecture d'Imperium publié en 2006.

Robert Harris est un journaliste politique et romancier qui a publié plusieurs best-sellers historiques. Son talent consiste à maîtriser et décrire les protocoles des grandes institutions tout en restant à la hauteur des forces et faiblesses de son personnage principal,  qu'elles soient racontées par lui-même, comme c’est le cas du cardinal Lomeli de Conclave, ou par l'un de ses collaborateurs, comme c'est celui de Cicéron d'Imperium.

Dans les deux cas, nous avons l’impression de revisiter des événements dont nous avons déjà entendu parler. Ceux qui, de mon âge, se sont “farci” des exercices de traduction d'extraits de plaidoyers de Cicéron durant leur cours classique se souviendront du procès  de Verrès, ce gouverneur corrompu dont le jeune avocat-sénateur essayait de défendre les victimes. Prenant la voix du secrétaire de Cicéron, l'auteur nous fait découvrir un personnage éminemment plus complexe que le monolithe de vertu civique apparaissant dans nos livres de civilisation latine.

On le suit à travers le dédale des soubresauts politiques de la vie romaine (nous sommes aux temps du triumvirat César, Pompée et Crassus) et de ses propres hésitations à promouvoir sa carrière ou à l'attacher à celle des uns ou des autres.

-Quand on veut le pouvoir, il y a un moment où il faut  savoir le saisir… Il est parfois bien inconsidérée révéler ses ambitions trop tôt-les exposer trop prématurément aurore et au scepticisme du monde peut les détruire avant qu’elles soient réellement formées. Mais il arrive aussi que ce soit l'inverse, et que le simple fait de mentionner une ambition la rende soudain possible, voire réalisable.

Voilà  des considérations que les cardinaux du conclave auraient pu exprimer. Combien de fois n'a-t-on pas rappelé que l'Eglise de Rome avait pris la suite de l'empire des Césars? Il n'y a pas de grandes différences entre les discours et les ambitions des sénateurs de la Rome antique et celle des cardinaux d'un conclave ressemblant à ceux que nous avons connus à travers les reportages et les rumeurs des médias. Cicéron était  conscient de la hargne de ses ennemis.

-Nous avons des ennemis - affrontons-les; des tâches à accomplir - supportons-les; sans oublier qu'un ennemi avoué et déclaré est moins terrible qu'un ennemi qui se cache et ne dit rien.

Le cardinal Lomeli, doyen  responsable du déroulement du Conclave, aurait pu dire la même chose. Non pas tant de ses ennemis, mais de ceux qui s'affrontaient pour obtenir les votes de leurs confrères. La Chapelle Sixtine n'est pas exempte de coups bas !

Mais il y a peut-être une différence dans le sort réservé aux vaincus. Les cardinaux qui avaient vu leurs espoirs disparaître ne subissent pas le sort des vaincus du général romain.

-... pendant que Pompée (célébrant sa dernière victoire militaire) gravissait les marches du Capitole pour procéder au sacrifice devant le temple de Jupiter, ses prisonniers les plus éminents étaient emmenés dans les profondeurs de la prison et étranglés.

En fait, le plaisir de ces romans, c'est que nous vivons la grande aventure politique d'une Rome antique et d'une Rome nouvelle (l'Église et ses cardinaux doivent faire un choix entre un candidat très conservateur et ceux qui pourraient représenter un avenir plus ouvert... et plus incertain.)

-La politique ? Ennuyeuse ? La politique, c'est l'histoire en plein vol ! Quelle autre sphère de l'activité humaine fait appel à ce qu'il y a de plus noble dans l'âme humaine, et à ce qu'il y a de plus vil ? Ou procure une telle excitation ? Ennuyeuse ? Autant dire que la vie elle-même est ennuyeuse ! (Cicéron, Imperium)

L'auteur sait très bien camper et décrire ses personnages.

-Il (Pompée) avait un visage large, des pommettes saillantes et une chevelure épaisse et ondulée qui se dressait au-dessus de son front comme la proue d'un navire. C'était un visage qui exprimait la force et l'autorité, et il était doté d'un corps assorti: des épaules larges et une poitrine solide qui lui donnaient un torse de lutteur. (Imperium)

Nous découvrons aussi des personnages très colorés au sein de la centaine de cardinaux, allant de l'Italien  tonitruant au... Québécois "prêt à tout pour obtenir des votes"... un personnage "très médiatique", mais pas très sympathique... hélas... RELENT DU DERNIER CONCLAVE ??? ...même si l'auteur se défend de toute ressemblance avec les vrais acteurs...

Malgré les tours et détours dramatiques qui nous amènent à poursuivre la lecture, l'auteur réussit à nous entraîner d'un chapitre à l'autre, Ce n'est pas nécessairement pour connaître la fin de l'histoire. Nous la connaissons en ce qui concerne Cicéron. Et nous la devinons, dès le tiers de l'ouvrage, quant au dénouement du Conclave. Mais c'est la façon d'y arriver qui nous maintient en état de séduction. L'auteur tient de façon très adroite son fil narratif et le décore de phrases qui nous pousse à aller en croiser d'autres.

- ... les mots sortaient de sa bouche, partaient dans le vide et semblaient expirer au milieu de la nef pour tomber au sol, inertes. (Conclave)

Et nous apprenons des choses ...

- ... une soutane de lainage rouge, avec trente-trois boutons pour chaque année de la vie du Christ... (Conclave)

- ...lorsqu'on se retrouve enlisé, en politique, la seule chose à faire est de déclencher une bagarre - déclencher une bagarre même si l'on ne sait pas quelle en sera l'issue, parce que c'est seulement lorsque la bagarre fait rage et que tout est chamboulé que l'on peut espérer découvrir une porte de sortie. (Cicéron. Imperium)

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