La Part de l'Autre (Eric-Emmanuel Schmitt)



Eric-Emmanuel Schmitt, La Part de l’autre, Albin Michel, 2001. 503 p. en édition Livre de Poche

Ce roman a connu son heure gloire.  Le sujet est, à la fois, surprenant et provoquant : si Adolf Hitler était né en deux personnages, Adolf H. et Hitler. On les suit dans trois épisodes de leur vie : aspirant artiste-peinte, soldat dans les tranchées de la première guerre mondiale et acteur de l’installation nazisme. Ces trois épisodes sont décrits avec minutie. 

Les espérances et désespérances de l’artiste sont assez classiques.
Je suis un peintre qui a beaucoup  de talent et pas du tout de génie. Je manque de singularité…. Un multimilliardaire qui n’aurait aucun désir d’acheter. Un dictionnaire de huit mille pages qui n’aurait rien à dire. 
....
C’est une névrose qui fait l’artiste, c’est une névrose qui l’inspire et lui donne l’énergie créatrice. Je tiens à ma névrose et je ne veux pas qu’une meilleure connaissance de moi-même me change. Peu importe si je suis plus heureux; je préfère être mal et continuer à peindre. D’autant plus que je suis heureux quand je peins. 

La montée du nazisme a été maintes fois racontée. La seule surprise consiste en une référence rapide à la théorie liant les performances d’Hitler à l’hypnose. Ici il ne s’agit pas d’une hypnose collective créée par les discours et les mises-en-scène du personnage, mais d’une hypnose à laquelle un médecin, disciple des nouvelles théories de Freud, aurait soumis le jeune soldat en train d’une cécité nerveuse. Il lui implante la suggestion qu’il doit s’en sortir pour sauver l’Allemagne, « qui a besoin de lui ».Plus loin dans le texte, une page et un retour en une ou deux phrases pour signaler les regrets du docteur. (J’ai retrouvé le fil de cette hypothèse – dont s’est inspiré le romancier -  sur le site www.unknowncountry.com/news)

L’épisode le plus intéressant décrit le vécu et les émotions des personnages dans l’enfer de la première guerre mondiale. On assiste à la vie quotidienne de ces hommes ordinaires que des officiers fantomatiques condamnent à la nullité d’une guerre de tranchées. On est bien loin de ces images d’hoplites grecs qui, sous leur casque et derrière leur bouclier fraîchement sortis des forges hollywoodiennes avancent leurs abdominaux ondulés et leurs glaives scintillants vers une victoire indubitable. Ce sont plutôt celles des horreurs qui n’ont rien d’héroïque et tout d’une triste inutilité, sauf pour l’un des deux personnages qui retrouve dans l’armée un encadrement et une « intelligence » qui le rassurent. (On y trouve une description de la scène de la pause de Noël au cours de laquelle les soldats sortent de leurs tranchées pour chanter, en plusieurs langues, le chant « Douce Nuit »…)

Il y a aussi la fin du dictateur  avec une re-création qui de ce qui aurait dû (ou... a dû) se passer...

Bref une bel exploit de reconstruction historique dans le prévisible et l'impossible... deux fictions de natures différentes avec lesquelles l'auteur jongle sas en échapper une jusqu'à la fin.

Et de belles phrases bien enlevées:

- ... j'ai fait le choix de l'ordinaire.
...
Il n'aimait plus. Cela faisait trop mal. Il acceptait de vieillir.
...
(à la mort de son père) ...Elle avait tout de suite compris ce qu'il voulait et comment il comptait la ramener à la vie : elle se donnait sans restriction, ventre contre ventre, pleurant toujours, certaines larmes pour son père qui la quittait, d'autres pour son mari qui l'adorait, entre le chagrin et l'extase, elle se sentait intensément vivante.

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