L'enfant des livres (François Foll)

François Foll.  L'enfant des livres. Nouveau Monde éditions. 2009. 502 pages

La France en pleine guerre de religion. Le jeune Martin Dubé, orphelin, est élevé par son oncle dans le milieu des imprimeurs. De belles, longues et précises descriptions des métiers du livre en cette époque de turbulence politico-religieuse. Devenu le jeune compagnon et disciple d'un huguenot qui parcourt la France pour un commerce de livres et, surtout, une mission de prédication réformiste, le jeune homme va assister - et nous faire assister - à l'horrible journée  de la Saint-Barthélemy. Ceux qui ont lu la Reine Margot de Dumas en ont déjà

une bonne idée ! Mais l'auteur nous fait vivre cela, non pas à la hauteur des Grands, mais à celle des "honnêtes gens" qui se croient destinés par leur dieu à occire ceux qui ne l'adorent pas de la même façon qu'eux. Nous y découvrons une belle répétition des événements qui, deux cents ans plus tard, allaient "justifier" le meurtre, dans la rue ou sur l'échafaud de milliers d'innocents.

Une belle description de cette opposition entre "papistes" et huguenots:
-Martin avait désormais  deux Evangiles: celui de la vraie foi catholique et de ses manifestations ostentatoires qu'on aurait pu appeler l'Évangile de jour et celui de la foi en la connaissance, caché  dans un recoin de galetas et compulse chaque soir sans en comprendre le sens mais en en retenant par cpeur les gravures, l'Évangile de la nuit.

Ce "voyage en France … de guerre las.." est fort bien mené. J'ai appris le quotidien de l'arrivée. .. difficile… de Henri de Navarre à la couronne de France. La déception de certains Huguenots (dont le maître du jeune Martin) devant la conversion stratégique de ce roi qui jouera un rôle gigantesque dans la relance de la puissance française (menant å l'arrivée  de Richelieu sous le règne de son fils Louis XIII…. Mes lecteurs connaissent mon admiration pour son premier ministre…).

Il y aussi ce séjour du lecteur dans un monde dont la fragilité  ne peut être aujourd'hui imaginée. .. du moins dans les pays du G20.

-... tout allait pour le mieux puisque l'année  écoulée s'était déroulée sans attaque de brigands, sans piqûre de bête venimeuse, sans maladie grave et sans famine.

Comme cela n'avait pas beaucoup changé  au siècle suivant, on peut comprendre pourquoi nos ancêtres  ont été prêts à subir un mois de traversée houleuse sur des "coquilles de noix", des années de guerre contre les aléas du climat,  certains Amérindiens et les pirates Anglais (comme les frères Kirk). Ou… peut-être qu'on ne leur avait pas tout dit… !

L'auteur a un grand talent pour décrire les différentes  formes de relations sociales.

-En faisant l'apologie du maître, Jean Alexis prononçait  les mots en roulant dans la bouche comme des bonbons au miel. On aurait dit qu'il goûtait les éloges  avant de les servir, mais Martin redoutait cet homme plus que tout autre car, à l'instar de tout flatteur éhonté,  il compensait une aménité douceâtre à l'égard des grands par une dureté implacable vis-à-vis des petits. Il mettait autant de zèle  à dénoncer les insuffisances de ceux qui le servaient qu'à mettre en exergue les qualités de ceux qui les commandaient.

-Pardonnez-moi mais la différence d'âge,le respect que je dois à votre personne et à votre position m'interdisent la familiarité.  J'ai beau articuler les syllabes de votre prénom, elles trébuchent dans ma gorge et roulent sous ma langue .

-J'entends bien ton argument mais, pour obtenir l'adhésion du plus grand nombre, il ne faut pas forcer les âmes.

-Vous prenez l'option de tailler l'arbre alors qu'il fallait le déraciner et l'abattre.

Il a aussi fait des recherches pointues sur les façons de vivre, de  manger, de s'habiller, de se loger des gens de cette époque. 

-... la maîtresse  de maison qui venait de faire son apparition au bas de l'escalier. Cheveux tombant en boucles sur ses épaules, jupe de futaine noire, casaquin de lin blanc, chaussée  de savate de cuir marron contrastant avec la blancheur de ses chevilles, elle prit la pause, faisant converger tous les regards masculins.

-Martin, qui observait la scène  du coin de l'oeil, vit le médecin oter3 d'un geste ample une longue pelisse grège doublée  au col d'une fourrure en peau de castor, la poser délicatement sur une escabelle, puis, en s'inclinant à  nouveau vers la maîtresse de maison, retirer un bonnet noir et carré avec sur le dessus une petite houppe de soie  grenat et, sur le côté, une bosselure insolite, pour le déposer à son tour sur le manteau.

Il maîtrise  les rythmes de phrase qui modulent la narration, comme en témoigne l'extrait suivant

-Quand ce fils  dont elle avait été si fière se pencha sur elle, l'enveloppa de ses bras,  la serra fort contre lui, tomba à genoux à ses pieds, lui saisit les mains qu'elle avait sèches et rugueuses, y posa la tête,  les couvrit de baisers, se mit à balbutier des mots d'amour comme jamais il n'en avait prononcé, rien ne se produisit. 

Voilà  une scène qui peut toucher tout lecteur qui a été confronté  à un drame semblable. La suite de courtes propositions l'entraîne irrémédiablement dans une chute narrative dont l'aboutissement en trois phrases bien martelées.

-Pas la moindre lueur dans le regard vide, pas la moindre étincelle d'émotion  dans le corps décharné. Plus d'âme ou l'âme ailleurs. Pire que la misère, pire que la mort…

Ce roman se lit comme la visite des salles d'un musée.  On y passe d'un univers à un autre ( la ville, la province, le château. ..) en suivant le scripto-guide, le jeune Martin qui vieillit en cours de route et son maître huguenot, colporteur de livres. On peut, sans problème,  s'arrêter en cours de lecture et aller voir ailleurs. Les personnages sont toujours assez présents pour qu'en revenant au livre, on puisse les retrouver…. et s'y retrouver sans trop d'effort. Car, comme dans la visite d'un musée, il peut arriver qu'on souhaite s'attarder dans un univers. Dans ce cas, on peut vouloir s'imprégner  d'un univers et l'approfondir en allant chercher ailleurs des informations que l'auteur n'a pas le temps de nous fournir. Les univers décrits sont tellement riches qu'il faut parfois se donner le temps de les "digérer ".

-Or il était  écrit  que sa vie ne serait pas celle d'une eau calme et saumâtre,  nais bien celle d'un torrent de montagne.

...

-Les vies aventureuses sont presque toujours faites de hauts vertigineux et de bas abyssaux.

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